Atelier d’Ecriture Bibemus – Séquence autour du Travail – Jan-avril 18
Ecrire c’est être dans la vie, être interpellé par des questions de société, s’en jouer, les dénoncer, mettre de l’utopie, ou simplement s’attarder à décrire ; Le monde du travail a inspiré plein d’auteurs notamment à partir du XIXème. Victor Hugo, Zola, Sand, Dovstoïeski, Balzac ! D’autres auparavant, notamment des philosophes ont écrit sur le sens du travail, mais l’entrée naturaliste et réaliste du travail dans les fictions se sont développées en même temps que l’industrialisation et la perte progressive des travaux ancestraux des champs ou de la guerre.
La littérature contemporaine s’est aussi emparée de cette question du travail, de Vinaver à Amélie Nothomb (Stupeurs et tremblements, ou de Kundera à Hélène Lafon (Joseph)
Je vous propose de développer dans cette séquence votre écriture autour du thème du travail, de tenter de s’approcher de ce qu’il représente, de faire vivre des personnages au travail, dans des situations très diverses, de tenter de lui donner corps dans l’écriture.
Atelier du 8 et 15 janvier 18
Biographème d’un artisan ou d’une profession exigeant un savoir faire spécifique où les mains sont impliquées
Un biographème est une biographie en modèle réduit, écrite après le décès de la personne ou pas. Il se compose de petits paragraphes autonomes nous montrant différentes étapes de la vie de la personne permettant peu à peu de l’envisager dans son contexte professionnel et de dessiner progressivement sa personnalité. Ces fragments sont autant d’instantanés de sa vie, anecdotes ou instants de vie recomposés. Vous vous attèlerez à renforcer sa ou ses spécificités professionnelles, insistant, à chaque paragraphe sur un aspect de sa vie plutôt que sur les autres.
Pour vous aider, le ressort de la liste est toujours un bon outil de démarrage. Jetez sur le papier toutes les sortes de profession où l’on se sert de ses mains (garagiste, tourneur, paysan, infirmière, coiffeur, ébéniste, pécheur………), vous pouvez aussi vous servir de votre mémoire si, au cours de votre vie vous avez rencontré un de ces professionnels qui vous aurait marqué. (Cordonnier, couturière, ….), vous pouvez aussi plonger dans le passé et dans les vieux métiers oubliés (étameur, aiguiseur de couteau, porteur d’eau…) ou mélanger les deux à votre guise
Vous en choisirez un que vous déroulerez à la manière d’un biographème ;
« Regain » Giono p. 124
Extrait de Dany Daniel pour les biographèmes.
A l’âge où les enfants cassaient leurs jouets, Pierre essayait de réparer la quatrième roue d’une petite voiture ou la jambe d’une poupée. Quand un enfant écrasait volontairement un insecte, Pierre hurlait de désespoir, souffrant de voir le corps irréparable. Et il n’avait que six ans…
En grandissant,, il se montra de plus en plus adroit. Ses doigts agiles savaient reproduire et créer. On lui offrit un livre d’origami et une liasse de feuilles de papier plus ou moins fines. Il découvrit alors l’art de fabriquer toutes sortes d’animaux minuscules articulés tels que des papillons qui battaient des ailes ou des grenouilles prêtes à sauter, des fleurs aux pétales élaborés et autres merveilles qu’il colorait de teintes vives ou plus délicates. « De vrais bijoux », disait l’entourage.
Après sa scolarité, il intégra une école de joaillerie où sa minutie, sa dextérité, sa créativité et son sens artistique le placèrent parmi les meilleurs. Après les pierres semi-précieuses comme le jade, l’opale et la malachite, on lui confia la taille des pierres précieuses et comme il avait l’oeil pour les choisir, on l’envoya en Inde pour aller visiter de multiples gisements aux quatre coins du pays et rapporter les plus belles pièces. Il n’avait encore jamais voyagé et ce pays lui ouvrit des horizons qu’il n’aurait jamais imaginés. Il dût s’introduire dans le milieu très spécial des vendeurs de pierres qui tiraient de leurs poches des diamants, des rubis et des saphirs de toutes tailles et de toutes qualités, traitant leurs affaires au fond d’échoppes obscures. Il apprit à se méfier des uns et des autres, à marchander, à refuser sans heurter et à acheter au meilleur prix. Trois mois plus tard, il quitta le pays à regret et fut engagé chez « Chopar » place Vendôme à Paris.
Il avait alors vingt-cinq ans, une vie professionnelle prodigieusement intéressante et lucrative. Il travaillait tôt le matin et tard le soir et passait son temps libre à dessiner des modèles de colliers, de bagues et de bracelets. Sa vie privée était inexistante. En Inde, il avait admiré les femmes minces et élégantes vétues de couleurs magnifiques qu’elles portaient avec une grâce particulière. Mais il n’avait pas eu le temps de les approcher.
La veille de Noël était une journée très chargée chez Chopar. Beaucoup de clients étrangers venaient au dernier moment choisir des cadeaux, de somptueux bijoux à plusieurs milliers d’euros.
La dernière cliente était indienne. A cette heure tardive, les vendeurs n’étaient plus que deux dans le magasin. Pierre se précipita, séduit, laissant son collègue dans l’arrière-boutique. Il la salua et admira l’aisance avec laquelle elle se déplaçait, allant de comptoir en comptoir. Il remarqua tout de suite le très beau diamant qu’elle avait sur l’aile du nez, mais il ne vit pas le révolver qu’elle cachait sous son sari. Il tomba sans bruit sur le sol en marbre, atteint de deux balles mortelles tirées avec un silencieux. Son dernier regard avait été ébloui et fasciné pour la pureté du diamant…
Marijo Mistral